" Dans tous ses films, qui sont des films d'amour et de tourment, les personnages luttent contre le mal de vivre, la fuite inexorable du temps, veulent faire de l'absolu avec de l'éphémère. Et même s'ils ne racontent pas la vie de Guy Gilles, ils sont autobiographiques; une suite de rencontres, les blessures inguérissables d'une passion récurrente. "
Jacques Siclier
Critiques
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Par Maurice Perisset
Je me méfie des étiquettes. Pour Guy Gilles, je redoute un peu celles que, bien intentionnée, une certaine presse ne manquera pas de coller sur Le clair de Terre, le film qui lui valut le grand prix du dernier Festival d'Hyères et que l'on verra à la rentrée : gentillesse, émotion, délicatesse, etc… Son film vaut plus et mieux que cela, c'est tout simplement l'œuvre d'un cinéaste authentique et original, et il n'est pas tellement fréquent qu'on en découvre un, comme ça, au tournant d'une caméra. D'autant que la simplicité du propos est trompeuse, tout comme l'aspect linéaire du scénario ou l'ingénuité apparente de l'interprétation.
Avant Le clair de Terre, outre des courts-métrages, Guy Gilles avait réalisé L'amour à la mer qui, pour d'obscures raisons, n'est jamais sorti, et Au pan coupé, qui eut une courte carrière. Déjà cependant s'affirmait, même si d'aucuns la trouvaient maladroite, la patte d'un authentique auteur de film. Que l'on ne s'y trompe pas : pour tendre qu'il soit, l'œil de Guy Gilles est bien ouvert et sait saisir d'un seul coup les traits d'un personnage; lucide, il va bien au-delà de l'émotion et il lui arrive de l'épingler comme un papillon sur un bouchon.
La nostalgie de son pays - la Tunisie - conduit un adolescent mal à l'aise dans sa peau et dans un Paris qui l'a accueilli mais où il ne parvient pas à reconstituer son univers en dépit des amis qu'il y a, à faire une sorte de « pèlerinage aux sources ». Il revient sur la terre heureuse de son enfance et c'est son périple que nous conte Guy Gilles jusqu'à ce qu'une autre nostalgie - l'amitié? - le ramène à Paris, la mort d'une adolescente, qui l'aimait sans doute, servant apparemment de catalyseur et lui faisant prendre conscience de certains sentiments qu'il n'avait peut-être pas ressentis avec suffisamment de force. C'est tout. Sous son aspect linéaire, le film va loin. Fait de mille détails, de petites touches, il n'appuie pas les effets, il est discret, efficace, secret. Jamais forcée, l'émotion n'y est que plus évidente. Au niveau de l'anecdote, cependant, je redoute un peu une certaine incompréhension : il ne se passe pas grand chose de spectaculaire dans ce film intimiste et cela peut dérouter ceux qui ont besoin à toute force qu'on leur raconte une histoire aux rebondissements multiples.
Outre ces qualités de poète de la caméra, plus rares que d'aucuns l'imaginent, ce qu'il faut retenir à l'actif de Guy Gilles, c'est, de surcroît, une très remarquable direction d'acteurs. Jamais au cours de sa longue carrière, Edwige Feuillère n'avait été mieux et plus judicieusement employée que par ce jeune réalisateur qui lui a confié - et il allait le faire ! - le rôle d'une enseignante en retraite. Gommant d'un seul coup ce que les imitateurs se plaisent à souligner chez elle, et notamment son caractéristique tremblement de gorge, il a si bien su l'intégrer au film qu'on oublie en la voyant le monstre sacré que certains ont fait d'elle ; elle est le personnage; on y croit. Même si elles ont su mieux résister et nous ont plus difficilement fait oublier qui elles étaient, disons qu'Annie Girardot et Elina Labourdette ont été rarement mieux employées. Quant à Patrick Jouané, qui supporte à lui tout seul la plus grande partie du poids du film, il a d'emblée le tact, la mesure et la sobriété des comédiens de race.