Guy Gilles   Cinéaste français (1938 - 1996)
Guy Gilles

" Dans tous ses films, qui sont des films d'amour et de tourment, les personnages luttent contre le mal de vivre, la fuite inexorable du temps, veulent faire de l'absolu avec de l'éphémère. Et même s'ils ne racontent pas la vie de Guy Gilles, ils sont autobiographiques; une suite de rencontres, les blessures inguérissables d'une passion récurrente. "

Jacques Siclier

Critiques

Par Gérard Lefort

Au début on craint une banale histoire policière : un jeune homme de 20 ans qui contacte un journaliste parce qu'il a découvert le corps d'une femme assassinée dans un terrain vague de banlieue. Une série B en somme, mais revisitée par l'esthétisme facile, les néons, le gras-mouillé, les motos, les jeunes glacés, un dernier avatar de l'effet Diva.

Et puis très vite le film s'effondre tendrement vers autre chose : une histoire de petits plans furtifs, une précaution des détails, des échappées belles qui font de ce Crime d'amour un film rare dans le cinéma courant. Parce qu'il n'hésite pas à certains effets littéraires, parce qu'aussitôt Guy Gilles en donne les coulisses et les ficelles. Une seule scène (très belle) suffit : le journaliste (Richard Berry, superbe parce qu'enfin il décoince de son air buté d'enfant prive de dessert) emmène le petit jeune dans son appartement pour y discuter plus à l'aise. Etant donné le décor, dépouillé mais très branché « Pédé rive gauche », (quelques photos d'adolescents jetées là comme ça, un souvenir (un seul) d'enfance, le petit bureau et l'incontournable stylo Mont-Blanc), étant entendu que le petit jeune est mignon à croquer et que Berry est d'une ambiguïté tout à fait désirable, tout semble délibérément programmé pour la scène de drague, avec ou sans coucherie.

Mais rien du tout. La bonne surprise, c’est que l'image parle subitement d'autre chose, autrement passionnant : la solitude un peu niaise d'un journaliste en manque professionnel de sensation, la littérature d'un jeune poète qui croit un peu trop à l’héroïsme de son personnage. Même chose quand le jeune poète sensualise à outrance avec son amoureuse (dans le rôle du coup de foudre, Macha Méril, On a l'agréable surprise de redécouvrir qu'elle est du tonnerre) : le dialogue frise le pompier achevé (" J'ai la tête vagabonde " et autres « la mort s'avance à pas de loup dans la neige »). Macha fixe alors le petit poète avec ses impertinents petits yeux de mite et lui lâche moqueuse: "c'est des trucs comme ça que tu écris ? " Bref l'humour, permanent garde-fou qui retient le film à chaque fois qu'il va trébucher dans le mièvre.

Mais on peut choisir dans Le Crime d'amour d'aimer une tout autre gamme.
Tout simplement l'histoire, suspens bizarre qui mêle deux sœurs jumelles paradoxales : l’une, fantasque, chante, l'autre macère dans sa bourgeoisie sévère. Entre elles deux, une sombre querelle dont on ne veut rien savoir de plus que le peu qui est dit.
Plus compliqué : les désirs anachroniques et un rien crispants du jeune poète qui recherche la gloire médiatique d'un décapité dans un pays où l'on vient d'abolir la peine de mort.
Plus souterrain : tous les arrières-mondes discrets qui se faufilent sans cesse dans le film. Une riche belle (Andréa Férreol) qui sourit au fond de sa limousine, un mystérieux motard en go-between, comme un gimmick, une citation de Come Back to Sorrentho avec Vivian Leigh, et surtout Pieral, géniale figure d'un reporter fouille-merde au journal La Filature.

Le Crime d'Amour est comme un emboîtement de labyrinthe enchevêtrés, laissant chacun libre de sa sensualité. Mais à chaque passage persiste l'impression de charme d'un mélodrame retenu.

Libération du 27 novembre 1982