" Dans tous ses films, qui sont des films d'amour et de tourment, les personnages luttent contre le mal de vivre, la fuite inexorable du temps, veulent faire de l'absolu avec de l'éphémère. Et même s'ils ne racontent pas la vie de Guy Gilles, ils sont autobiographiques; une suite de rencontres, les blessures inguérissables d'une passion récurrente. "
Jacques Siclier
Critiques
Soleil éteint
Au biseau des baisers
L'Amour à la mer
Pop Age
Au Pan Coupé
Vie Retrouvée
Le Partant
Le clair de terre
Proust, l'art et la douleur
Absences répétées
Le Jardin qui bascule
Saint, martyr et poète
La Vie Filmée
La loterie de la vie
Le Crime d'amour
Un garçon de France
Nuit Docile
Jeunes entre eux
Par Guy Braucourt
Trois grandes voies d'études et d'accès à la jeunesse : la sociologie, la mythologie et la poésie. Mais si riche et si complexe, si immense et si flou est le sujet que, se coupant et se confondant parfois, les mêmes voies peuvent y mener tout aussi sûrement (ou tout aussi approximativement !) en bifurquant par des chemins de traverse : sociologie poétique, poésie des mythes, mythologie des rapports sociaux.
Trois films français sur la jeunesse , sortis simultanément sur les écrans, sont révélateurs de ces ambiguïtés dans les modes et les méthodes d'approche. Au premier abord, Anémone, de Philippe Garrel, est un film de mythologie : la fille d'un psychanalyste rencontre un garçon, fait une fugue et revient à son papa après un mauvais coup et le suicide du garçon ; Au Pan Coupé, de Guy Gilles, un film poétique sur la difficulté d'être et d'aimer, le refus de la société et de la vie, la recherche de l'absolu, la passion plus forte que le temps ; Pop Game, de Francis Leroi, un film de sociologue : rapports de trois jeunes gens avec le monde, donc d'abord avec eux-mêmes, puis avec les autres. Mais qu'est-ce qui en fin de compte, dans chacun de ces films, l'emporte de l'objet regardé ou du regard posé sur lui par le cinéaste? Selon la réponse que l'on donnera à cette question, Anémone peut devenir film de sociologue vu à travers le filtre d'une sensibilité poétique, Au Pan Coupé film d'une certaine mythologie romantique reflétant par là même une forme particulière de rapports sociaux, et Pop Game film poétique qui fait nécessairement apparaître les mythes cachés sous la réalité des êtres et des choses.
Et ce qui rend cette ambiguïté plus riche encore, c'est que, à la différence des réalisations d'un Godard (Masculin-Féminin), d'un Moullet (Brigitte et Brigitte), d'un Rohmer (La Collectionneuse), Anémone, Au Pan Coupé, Pop Game sont des films de jeunes auteurs (au sens fort et plein du terme, chacun étant à la fois scénariste et réalisateur de son film) à peine plus âgés que leurs personnages.
(…) Guy Gilles est le " vétéran " du trio, 27 ans, et il en est à son deuxième long métrage (mais L'amour à la mer n'est jamais sorti en diffusion commerciale). Si son film est lui aussi maladroit par moments, c'est moins comme celui de Garrel en raison de l'inexpérience et du manque d'assurance du réalisateur, moins parce que tiraillé entre des personnages trop familiers et des influences extérieures trop fortes (mais gare tout de même pour Guy Gilles à la belle image, à la joliesse gratuite à la Lelouch), qu'en raison de la difficulté, de la fragilité d'un sujet traité tout en retenue, tout en pudeur. Et tant de fragilité, tant de délicatesse finissent, après avoir séduit et troublé, par donner l'impression que l'auteur reste et nous laisse plus ou moins volontairement un peu en retrait, à l'écart, de son histoire et de ses personnages entre lesquels il est lui-même inconfortablement pris. Entre Jean, l'adolescent qui fuit en « une révolte romantique et réaliste à ta fois », qui « préfère renoncer à tout plutôt que d'accepter la société telle qu'elle est », et Jeanne, plus mûre, apparemment plus équilibrée et en tout cas plus proche de notre sensibilité car c'est elle que nous voyons en train de vivre son impossible amour. Ajoutons à cela la disparité du jeu des interprètes, Patrick Jouané ayant bien du mal pour ses débuts à être tout à fait à la hauteur de sa remarquable et belle partenaire Macha Méril.
(…) Un même refus anime le trio bohème de Leroi, le couple romantique Jean-Jeanne et les enfants fugueurs des films de Garrel : refus du travail, de toute forme de contrainte, des responsabilités, des règles du jeu. Du jeu des autres tout au moins car contrairement à Joan qui " sublime par sa propre mort son refus total de vivre ", à Jeanne qui va feuilleter en un stérile désespoir l'album déjà fané de son amour, le trio de Pop Game a su créer son univers propre et clos avec ses rites et ses jeux qui sont autant de règles anarchiques dressant autour d'eux une barrière protectrice contre le monde des adultes et ta tentation de s'y intégrer. Et même si cela no mène nulle part c'est, dans l'immédiat, merveilleux. Et si l'on ne se contente pas à moins de 20 ans de la sensation du bonheur immédiatement tangible, quand le fera-t-on ?
Parce qu'ils sont des films sur les jeunes faits par des jeunes, Anémone, Au Pan Coupé, Pop Game ont en commun de n'être pas des films moralisateurs. Avec application, avec gravité, avec humour et décontraction, Garrel, Gilles et Leroi nous présentent trois séries de portraits de la jeunesse actuelle : portrait reconstitué (Anémone), portrait " stylisé " selon le mot de Guy Gilles, portrait " quasi documentaire " (Pop Game), exécutés par ce que l'on pourrait appeler des contemporains immédiats et capables de n'être ni juges ni complices de leurs personnages.
Parce qu'ils sont des films de jeunes, ces premiers pas (ou presque) ont également en commun d'être des œuvres à l'élaboration desquelles l'amitié, la confiance, l'artisanat et le courage ont joué un rôle important pour ne pas dire décisif. Réalisés dans des conditions difficiles, un peu ou totalement en marge du système (16 mm et amateurisme pour Anémone ; intelligence, initiative et admirable talent de Macha Méril, productrice et vedette de Au Pan Coupé ; crédit, dons et prêts pour Pop Game), ces trois films forcent la sympathie et l'intérêt - sans pour autant dispenser le critique d'en signaler les limites - et nous amènent à nous interroger sur le cinéma de demain. Ce qui, en art comme en d'autres domaines, vaut et vaudra toujours mieux que de se satisfaire des routines quotidiennes.
Guy Braucourt
CINÉMA 68, D.R.