Guy Gilles   Cinéaste français (1938 - 1996)
Guy Gilles

" Dans tous ses films, qui sont des films d'amour et de tourment, les personnages luttent contre le mal de vivre, la fuite inexorable du temps, veulent faire de l'absolu avec de l'éphémère. Et même s'ils ne racontent pas la vie de Guy Gilles, ils sont autobiographiques; une suite de rencontres, les blessures inguérissables d'une passion récurrente. "

Jacques Siclier

Critiques

Par Henry Rabin

« Le passé, mon petit, c'est du présent dont on se souvient. » (Edwige Feuillère à Patrick Jouané.)

Il faut mettre l'adjectif qu'il faut là où il faut : Le Clair de terre, de Guy Gilles, est un film proustien. Le jeune héros y part à la recherche du temps perdu, et que ce temps-là ne soit pas le sien ne l'empêche pas de trouver, chemin faisant, sa vérité.
Jeune « pied-noir » rapatrié d'une Tunisie dont il se souvient à peine, Pierre (Patrick Jouané) se sent mal à l'aise dans un Paris qui lui est toujours demeuré étranger. Son père, veuf inconsolable d'une femme dont le corps est resté là-bas, au pays du soleil, ne peut rien pour son fils désemparé.
Alors, Pierre s'en va. Pèlerin de la mémoire, il remonte les souvenirs des autres, qui le touchent tout de même puisqu'ils sont ceux des êtres qui lui sont ou qui lui ont été chers.
Il voit d'abord Maria (Annie Girardot), ancienne élève de son père, aujourd'hui professeur de musique à Deauville. Triste visite. Maria ne se remet pas de la perte de son mari. La souffrance est incommunicable. Chacun la supporte dans la solitude.
Pierre gagne alors son pays natal : la Tunisie. Joli pays où il se fait des amis, charmants. Où il rencontre surtout une ancienne amie de ses parents, Mme Larivière (Edwige Feulillère), une veuve, elle aussi, et qui aimait très fort celui qui n'est plus, mais qui ne se complaît pas dans la morosité.
Pour Mme Larivière, la vie est toujours là et elle vaut toujours d'être vécue. A son contact, explique Guy Gilles, « Pierre comprendra que ce qui est plus fort que la douleur même de l'arrachement, c'est le temps vécu, le temps passé à être ensemble et à tenter d'être heureux ».
Les souvenirs, du coup, perdent leur tristesse. Ils sont des morceaux de bonheur arrachés au temps et qui font chanter la mémoire. Avec elle, parfois, le coeur fredonne...
Pierre, alors, comprend. Il faut vivre la vie. Sa vie. Il a fait une balade dans la vie des autres. Maintenant, il lui faut commencer la sienne. Amasser des souvenirs, qui demain, après-demain, lui feront chaud.
La mort d'une amie le ramène à Paris. Peut-être cette jeune fille l'aimait-elle... Elle est partie avec son secret. Voilà sa première vraie douleur, petite - ce n'était qu'une vague amie - mais bien à lui.
Sans doute reviendra-t-il en Tunisie. Mais en homme. Il y a déjà laissé quelques souvenirs personnels qu'il aimera sans doute retrouver.
En attendant, il va voyager encore, pour se mesurer au monde, aux êtres et aux choses, vivre quoi.

Aimer... avec un «M» comme mémoire !
J'aime bien ce Clair de terre. Sur un thème au fond très littéraire, Guy Gilles réussit à créer un univers proprement cinématographique. Le personnage nous attache à sa démarche, et, bien sur, avec des mots. Mais pas seulement, je dirai même pas d'abord.
Car ce sont les images qui nous prennent en premier. Fluides et douces, elle glissent avec légèreté, distillant un charme mélancolique et fort, déjà mémorisées, souvenirs qui se tissent devant nous, au présent. Les références picturales surgissent naturellement : pointillisme, impressionnisme…
Mais pourquoi pas, tout simplement : cinéma? Cinéma sensible, d'une infinie délicatesse dans le maniement des âmes, et qui s'entend comme il en est peu à surprendre les oscillations du temps.
A d'aucuns, peut-être, le ton pourra paraître morne, disons gris. Je préfère le dire feutré. Dans Au Pan coupé, déjà (Cf. l’article de Jean Rochereau dans la Croix des 25 et 26 fév 1968), Guy Gilles excellait à couler ces demi-teintes où un amour mort se souvenait. Ici, la vie peut espérer retrouver ses chances. Le passé n'est pas stérile : l’avenir en sourd, encore fragile mais têtu.
Tout au long du film, court une chanson bien jolie, de Manouchka et J.-P. Stora, que chante Hervé Vilard (45 tours Philips, 6009-095 L) : "Le temps perdu" où le bonheur tremble comme une feuille à l’automne.
Annie Girardot ne fait qu'une brève apparition, mais coupante, prenante. Edwige Feuillère en revanche, a tout le tempd d’imposer sa Mme Larivière, ce qu'elle fait merveilleusement, rayonnant dans le soleil, témoin inoubliable d' "un amour qui ne finit pas".
Patrick Jouané, lui, fait un Pierre buté et secret, qui cache son angoisse dans des silences où l'on sent son cœur battre indécis mais déjà vibrant.
Il faut, je crois, aller voir Le Clair de terre – par opposition au "clair de lune" des romantiques d'antan; aujourd’hui l'amour est moins rêveur, mais qui sait? peut-être plus solide ?.. Un jeune réalisateur piège la mémoire dont il fait l'instrument du bonheur, illustrant la belle phrase de Marcel Proust qu'il place en exergue de son film : "Si la vie nois sépare, le souvenir du temps où nous nous connûmes durera".


Henry Rabin
La Croix, samedi 5 décembre 1971 (D.R.)