À la recherche de l'adolescence perdue

Par Claude Mauriac

Un adolescent qui se fuit dans la drogue. Un nouvel autoportrait nostalgique de Guy Gilles.


La drogue, à l'image accélérée d'autre chose : le temps. Vingt-cinq jours témoins, pris dans les derniers mois de la vie de François. Ce garçon a existé: il s'appelait Marco ; Guy l'a aimé et n'a pu le sauver. Absences répétées n'est pas un film sur la drogue ; à peine davantage l'histoire d'un drogué. C'est un nouveau portrait de l'artiste par lui-même.
Guy Gilles est de ceux pour qui l'adolescence est une maladie incurable. Il commença par jouer son propre rôle dans un court métrage signé par François Reichenbach. Après quoi, il chargea un comédien de le représenter ; puis un autre, lorsque celui-là ne fut plus assez jeune : Patrick Penn, après Patrick Jouané, héros du Clair de Terre, réapparu au second plan dans Absences répétées.
Recherche de l'adolescence perdue, de film en film continuée. Guy Gilles se prend un peu pour Proust, comme Philippe Garrel un peu pour Rimbaud. Il aime les citations, recopiées sur l'écran d'une écriture qui ressemble à celle de Jean Cocteau. Mots d'autrui, autour desquels cristallisent des images qui ne sont qu'à lui.
Ainsi, dans Absences répétées, l'admirable " Le Temps déborde ", de Paul Eluard. Et, allusivement, cette phrase du Marcel Proust de « La Prisonnière » : " Entre vos mains mêmes, ces êtres-là sont des êtres de fuite ".

L'eau des jours
Guy Gilles s'est pris le visage à deux mains ; il se regarde sur cet autre miroir de l'écran : entre ses mains mêmes, il est à lui-même un être de fuite. Attention, danger : " Poésie ". Guy Gilles ne cesse de nous faire peur. Il ne craint rien. Pas même de faire dire à ses personnages : « Quelle est cette voix ? - Je m'appelle Nostalgie. » Si la machinerie s'enrayait, si le courant ne passait plus, ce serait ridicule. Mais ces phrases dangereuses s'accordent. Le miracle, toujours menacé, continue.
Cartes postales, foires, bastringues. Musique recréée par Jean-Pierre Stora. Jeanne Moreau interprète une chanson qu'elle a écrite. Danièle Delorme et Nathalie Delon sont belles et graves. Yves Robert a une façon superbe de se taire.
Patrick Penn est l'adolescent drogué qui ne peut plus vivre dans un monde où tout le monde triche, mais ce ne serait rien : où il a été trahi par lui-même, dont peu à peu le visage s'est modifié, au point de devenir celui d'un autre, en qui il n'a plus confiance et qu'il ne peut plus aimer. Les années l'ont entraîné loin de lui-même. Narcisse, penché sur l'eau des jours, ne se reconnaît plus.
Revoici, à la fin d' Absences répétées, l'un des plus beaux plans du Clair de Terre. Promenade le long d'une digue que nous reconnaissons. Cabourg n'est plus tout à fait Cabourg ni Balbec tout à fait Balbec. Mais nous sommes toujours sur les plages du Temps.

Claude MAURIAC
L’express du 12 novembre 1972. D.R.