Guy Gilles   Cinéaste français (1938 - 1996)
Guy Gilles

" Dans tous ses films, qui sont des films d'amour et de tourment, les personnages luttent contre le mal de vivre, la fuite inexorable du temps, veulent faire de l'absolu avec de l'éphémère. Et même s'ils ne racontent pas la vie de Guy Gilles, ils sont autobiographiques; une suite de rencontres, les blessures inguérissables d'une passion récurrente. "

Jacques Siclier

Critiques

Par Jeannick Le Tallec

« La loteria de la vida ! » Le cri lancé aux passants de Mexico, pour les inciter à acheter un billet. L’équivalent de notre « Tentez votre chance ! »
À partir de l’image, assez étonnante, des « enfants de la loterie » - de jeunes garçons vêtus comme des grooms, criant de leur voix chantante, au débit rapide, le numéro de la boule de bois qu’ils viennent de tirer – Guy Gilles a construit un film d’où il a proscrit tout pittoresque, tout sensationnel. L’antithèse du documentaire alléchant pour touristes. Il a tenté de cerner la réalité quotidienne. Celle à laquelle on ne prête généralement aucune attention, tant elle semble banale. Du moins , au regard pressé, blasé, inattentif…
Il a voulu donner la parole à ceux à qui on ne l’offre jamais. Parce que, sans chercher à les connaître, on pense qu’ils n’ont rien à dire.
À Lupe – diminutif de Guadalupe, du nom de la Cierge vénérée de tous les Mexicains. Lupe, 20 ans, liftière à l’hôtel Bamer, un palace de l’Avenida Juarez, artère centrale de la capitale. Lupe, dont le dialogue avec les clients se borne généralement à cette question : « Subiendo ? Bajando ? »… Pour monter ou pour descendre ? La vie, pour Lupe, c’est monter et descendre. De 3 heures de l’après-midi à une heure du matin. Un moyen de payer ses études. Mais, entre rez-de-chaussée et quinzième étage, Lupe rêve… Rêve à Dolores del Rio, la grande acrice nationale, dont une exposition marque les vingt-cinq ans de cinéma. Rêve au jour où elle-même, Lupe, sera devenue un mannequin célèbre… Et elle n’est pas seule à rêver. Dans leur pauvre logement d’une triste impasse de la périphérie, où, en confiance et toute simplicité, Lupe a conduit Guy Gilles, ses parents rêvent aussi : son père, à l’époque où il était jeune et beau ; sa mère, à ses illusions perdues – elle aurait tant aimé pouvoir étudier ! Son jeune frère, à l’avenir : avoir un métier, être un professionnel… Le philosophe de la famille, c’est l’oncle. Un philosophe qui s’ignore, mais sait exprimer l’essentiel sur la vie, sur la mort.
Autour de ces personnages principaux d’une histoire inachevée, apparaissent, fugitifs, quelques paysages, mais, surtout, des visages, dont, en poète, Guy Gilles a réussi à saisir un regard, un sourire, que l’image semble avoir transfigurés. Ce sont eux que les yeux de notre souvenir gardent au cœur.