Guy Gilles   Cinéaste français (1938 - 1996)
Guy Gilles

" De la place de l'Europe partaient encore d'autres rues qui promettaient des voyages. On pouvait faire le tour du monde avec le nom de tous ces pays et de toutes ces villes. Souvent, des promeneurs désœuvrés s'arrêtaient à la grille qui donnait sur la voie ferrée. Un enfant rêveur comptait les trains qui passent. "

 

Guy Gilles, extrait de L'été recule, roman (inédit).

Scénario (extraits)

Les deux passages suivants sont extraits du scénario original, qui servit pour le tournage du film. Le signe barré correspond aux mots supprimés au tournage, l'italique signale au contraire les phrases ou mots ajoutés sur le moment. La mise en page tente de respecter celle du script original

 

Premier extrait

10 décembre

Un garçon décore une vitrine de Noël. Avec du coton, il fait des flocons qu’il colle sur la vitre. Peu à peu son visage disparaît derrière cette fausse neige.

François l’observe depuis sa fenêtre.


24 décembre

Dans un taxi, la mère de François. Son visage grave.
Elle regarde la rue, les gens qui vont et viennent, une agitation bruyante.

À un feu rouge, un groupe joyeux de garçons et de filles traverse. Une jeune fille éclate de rire.
Sur le visage de la mère de François les larmes coulent.
Au feu vert, le taxi démarre ; en silence, la mère de François continue de pleurer.

François à la fenêtre de sa chambre. Il regarde la rue, les vitrines éclairées (JOYEUX NOEL)
Extrême tristesse de son visage.
Il s’approche de la glace, se regarde et se parle, triste mais souriant un peu, comme pour se moquer de lui-même.

FRANCOIS (à son image dans la glace)
Pauvre François !

FONDU ENCHAÎNÉ…

…avec le visage de sa mère, dans la chambre.
François est couché, sa mère assise près de lui.

LA MÈRE DE FRANCOIS
Mon pauvre François, si tu voyais cette vie partout dehors…

François revoit fugitivement le geste du garçon qui accrochait les faux flocons de neige à la vitrine de la boutique.

LA MÈRE DE FRANCOIS
Tout à l’heure, dans le taxi, c’était affreux…

Un silence.

Joyeux Noël et bonne année ! Et moi je pensais à tes rideaux tirés, à tes quatre murs…
Si tu voyais la maison…
Nous vivons comme des automates. On se lève, on mange, ton père travaille, on se couche. Nous n’avons plus goût à rien.

Visage de François, immobile, les yeux baissés.
Sa mère le regarde ; elle voit qu’il s’est endormi.
Elle s’approche de lui… En chuchotant, elle dit :

LA MÈRE DE FRANCOIS
Excuse-moi, François. Chaque fois, je viens avec l’intention d’être très gaie, tout à fait heureuse d’être près de toi, mais tu vois, c’est raté.

Elle regarde François immobile et sort.

FONDU AU NOIR

L’APPARTEMENT DES PARENTS DE FRANCOIS

Ils sont à table. La mère de François pleure, repousse son assiette encore pleine, cesse de manger.

LE PÈRE DE FRANCOIS
Tu ne manges plus ?

LA MÈRE DE FRANCOIS
Il est allongé… Il somnole, deux gros oreillers sous la tête. Il lit un moment puis s’endort… le livre reste entre ses mains. Il dit qu’il sort, je ne sais même pas si c’est vrai… Je crois qu’il ne sort plus… Je voudrais faire quelque chose, n’importe quoi…mais je ne peux rien.
Si tu voyais son pauvre visage livide… un vieil enfant. Avec ses illustrés dans les mains, cette expression douce, résignée… Il est déjà ailleurs. Il regarde comme ça, presque avec un air de s’excuser. « Je vous donne bien du souci, je suis navré », et moi j’ai envie de le prendre dans mes bras, de le serrer contre moi, de lui dire :

À partir de ces mots, elle éclate en sanglots :

Mon amour chéri, dis à maman, parle. Maman va sortir de toi cet horrible dégoût. Maman va te guérir. N’aie plus peur. Sois tranquille. Et puis rien.


 

Deuxieme extrait

27 mars

LA CHAMBRE DE GUY

Elle est son portrait.
Des objets (piano, partitions) et des images (sur les murs et partout) directement liés à l’univers de la musique, mais aussi de la poésie.

D’abord, on peut croire que c’est le reflet de la chambre de François, mais on comprendra que c’en est le modèle.
Guy et François se ressemblent.
De la même façon François, qui peut paraître un instant le modèle de Guy, en est le reflet.

François regarde Guy.
La douceur est leur langage.
La tendresse est leur conquête, née de toutes les heures vécues, éprouvées, partagées.

FRANCOIS (on le sent un peu exalté)
Je suis venu te dire au revoir.

GUY
Tu t’en vas ?

FRANCOIS
Oui.

Un silence.

Tous m’abandonnent.

GUY (avec douceur)
Alors tu es satisfait….

François, décelé, mis à nu, sourit.

FRANCOIS
Puisque tout le monde s’en va, je m’en vais moi aussi.

Un silence.

GUY
François, prends garde, si tu pars et que tu n’es pas, je ne dis même pas « bien », parce qu’en ce qui te concerne, ça me paraît un mot trop vertigineux… enfin, si tu n’es pas « mieux » et que tu partes… au bout du voyage c’est sur toi que tu vas tomber.

FRANCOIS
Je dois partir.

Guy s’approche de François.
Il passe sa main dans les cheveux de François qui baisse les yeux (expression de douleur), puis les ferme.

François pleure en silence.
Guy le regarde longtemps. Il essuie ses larmes patiemment.

FRANCOIS
Je regrette de t’avoir quitté. J’aurais dû rester près de toi où j’étais si bien…

Guy parle à François avec beaucoup de douceur, comme à un enfant.

GUY
Tu ne m’as pas quitté. Tu es parti faire une promenade et tu reviens, et je suis là. C’est tout.

FRANCOIS
Et Marie ?

GUY
Nous sommes très heureux. C’est une sorte d’allégresse. Ça ne se raconte pas.

Ils se taisent un instant. Guy s’assoit à côté de François.

Marie t’aime beaucoup. Nous pensons souvent à toi. François, il y a beaucoup de place dans une vie.

FRANCOIS (il semble apaisé)
Le temps manque.

GUY
Un jour, les gens riront de toutes ces histoires qu’ils ont inventées. C’est vieux. C’est usé. Ce qui compte, c’est ce qui se passe entre deux êtres. Ça me semble tellement évident !
Bien sûr, on peut avoir des préférences, mais une rencontre peut tout faire basculer.
Texte suppl : il faut aimer un être…

FRANCOIS
Quand je suis près de toi, tout me paraît si simple.

GUY (souriant)
C’est peut-être parce que tout me paraît simple.

FRANCOIS
Moi, je vais dans tous les sens.

GUY
Ce n’est pas grave.

François, apaisé, regarde Guy.

FRANCOIS
Oui ?

GUY
Oui.

FRANCOIS
Je fais du mal aux gens que j’aime.

GUY
Non. Pas seulement du mal, et puis ça n’a aucune importance…Tout le monde… C’est plutôt toi qui a mal.

FRANCOIS
Pourquoi ?

Guy se tait.

FRANCOIS
Tu aurais du me tuer lorsque je suis parti, comme tu voulais le faire…

GUY (il sourit à ce souvenir)
Ce n’était pas sérieux. J’étais fou.

François et Guy se regardent un instant.

Ça t’aurait délivré, n’est-ce pas ?
Tu vois, je n’ai pas pu, chacun a ses limites.

Guy cesse de regarder François et dit, comme pour lui-même :

GUY (suite)
Malheur à ceux qui aiment les « êtres de fuite ».

FRANCOIS
Qu’est-ce que c’est un « être de fuite » ?

GUY
C’est toi.

François regarde Guy et sourit.

FRANCOIS (à Guy)
C’est toi.

Ils se taisent un instant.

FRANCOIS
Comment fait-on quand on aime un « être de fuite » ?

GUY
Je ne sais pas.
On va demander à Marie.

Apparition d’un nouveau personnage : Marie la douceur.
La femme qui a soigné Guy de François. C’est elle qui a donné à Guy la force de pardonner à François et de continuer à l’aimer.
Elle a un beau visage grave et son âge n’est pas discernable.

GUY
Marie !

Marie entre.
Harmonie de ses gestes. Don de son sourire.

Marie voit François et s’approche de lui.

MARIE
François !

Sa voix est un chant.
Marie embrasse François.

GUY
Marie, François veut savoir comment on fait pour aimer un « être de fuite ».

Marie sourit. Elle parle peu. Economie des mots.
Le regard, la voix, chemin vers les autres.
Ce qui émane d’un être plus fort que ce qu’il dit.

Journal intime de François------
LE SILENCE ET LES BAISERS.
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MARIE (en souriant)
Il faut laisser toutes les fenêtres et toutes les portes bien grandes ouvertes.

Tous trois se taisent un instant.

Et puis la fuite !

Marie n’y croit pas tant que cela.

MARIE
La promenade, oui.
L’évasion…

Tous trois éclatent de rire.
Ils communiquent et la joie vient, s’impose, envahit la pièce.

Journal intime de François------
REINVENTER LA VIE.
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