Guy Gilles   Cinéaste français (1938 - 1996)
Guy Gilles

" De la place de l'Europe partaient encore d'autres rues qui promettaient des voyages. On pouvait faire le tour du monde avec le nom de tous ces pays et de toutes ces villes. Souvent, des promeneurs désœuvrés s'arrêtaient à la grille qui donnait sur la voie ferrée. Un enfant rêveur comptait les trains qui passent. "

 

Guy Gilles, extrait de L'été recule, roman (inédit).

Scénario (extraits)

Ce texte est l'intégralité du commentaire off dit par Guy Gilles lui-même au cours du film. La bande-son mélange celui-ci avec des extraits sonores de dialogues et de musiques de films, de publicités, de chansons (" à tous mes souvenirs je m'abandonne"…).


Il s’appellent « Le bijou », « Ciné Palace », « les Variétés » ou simplement du nom de leur rue ; les cinémas de quartier…
Les portes de celui-ci ne s’ouvriront plus jamais. Déjà il n’a plus de nom.
On sait seulement qu’il y avait un cinéma, là, à cause des visages de Belmondo, d’Anna Karina, sur les affiches des deux derniers films projetés… à cause aussi de ce que l’on a pas encore détruit, ce que le temps a marqué : l’empreinte des lettres.. et les ampoules qui ne s’allumeront plus… Le reste est mort.
Un commerçant voisin nous a dit : « Le cinéma est vendu, on va construire un garage à sa place, c’est plus rentable… Plus loin, aussi, sur le Boulevard Saint Antoine, un autre cinéma a fermé ses portes… on a passé de bonnes soirées là… C’est dommage ».
Ce n'est pas dans une cinémathèque ni dans des livres mais dans une petite salle de quartier que j'ai commencé à aimer le cinéma, comme une chose abstraite et magique, sans savoir qui faisait les films, où ils se faisaient, mais en me faisant seulement entraîner dans des aventures qui m'offraient ce que j'attendais : une certaine idée de la liberté, de l'évasion et du rêve.
Des cinémas de quartier il y en a encore. A Pigalle, celui-ci fut construit pour être un théâtre. Pour 1 franc 35, les enfants peuvent encore y passer le jeudi après-midi.
Là, rien n'a changé. L'entracte n'en finit plus, mais il fait partie du spectacle.
"Dans la ville endormie le vent frissonne
A tous mes souvenirs je m'abandonne..."
Si les héros vieillissent, ce n'est pas parce que leur photo se recouvre de poussière mais c'est que la jeunesse n'a pas toujours le même visage. Les enfants ignorent leur nom… Nous les reconnaissons à peine, certains sont oubliés.
Lui, à quoi rêve-t-il ? : être l’une de ces images mortes et pourtant si fortes qui vivent le temps d’une séance puis s’éteignent… pour revivre ça et là au hasard des programmations…
Les petits cinés s’en vont..
Les fauteuils se cassent.
Le temps laisse partout sa trace.
Comme m’a dit encore le commerçant voisin : « Maintenant c’est la spécialisation, il n’y aura plus de cinéma de quartier mais des quartiers de cinéma… »
Adieu donc au petit ciné du Boulevard Saint Antoine avant que n’arrivent les pompes à essence du garage futur...