" De la place de l'Europe partaient encore d'autres rues qui promettaient des voyages. On pouvait faire le tour du monde avec le nom de tous ces pays et de toutes ces villes. Souvent, des promeneurs désœuvrés s'arrêtaient à la grille qui donnait sur la voie ferrée. Un enfant rêveur comptait les trains qui passent. "
Guy Gilles, extrait de L'été recule, roman (inédit).
Témoignages
Au biseau des baisers
Au Pan Coupé
Festivals 66 Cinéma 67
Le clair de terre
Saint, martyr et poète
La loterie de la vie
Nuit Docile
Interview de Jérôme Pescayré
Jérôme Pescayré a été l'un des plus proches collaborateurs de Guy Gilles. Tour à tour assistant réalisateur, co-auteur ou co-producteur, monteur ou ingénieur du son, il a accompagné à tous les postes les douze dernières années du périple artistique du cinéaste.
Rencontre
- A quelle occasion avez-vous rencontré Guy Gilles ?
C'était en 1983, sur le montage d' Où sont-elles donc ? J'étais passé un peu par hasard, pour voir son monteur, qui était un ami. Je ne connaissais pas ses films, mais il cherchait un assistant pour son prochain film, Un garçon de France, produit pour la télévision. C'est l'occasion qui a fait le larron… On ne s'est plus quitté, jusqu'à la fin.
A l'époque j'avais réalisé un court-métrage, et puis j'avais été stagiaire monteur (sur L'empire des sens), et assistant réalisateur, sur Les enfants du Rock. J'étais ravi de faire l'assistant réalisateur pour un long métrage, mais FR3 n'a pas voulu m'embaucher – je n'avais pas de carte professionnelle - alors Guy a insisté, il s'est débrouillé pour prendre mon salaire sur le budget du film, et j'ai finalement signé comme conseiller artistique !
- En quoi consistait votre travail ?
J'ai recherché les décors du film, surtout du côté de Lille, parce que pour Paris, Guy savait exactement ce qu'il voulait : les vitrines, les objets, tout ce qui était années 30 – même si l'action se passait à la fin des années 50, pendant la guerre d'Algérie. Je me souviens de ces livrets de musique petits formats, qu'il affectionnait beaucoup, avec photo de l'artiste. Il y avait un petit côté reconstitution : on en a profité, pour une fois qu'il y avait un peu d'argent.
Un Garçon de France
Pascal Kelaf , "Un garçon de France" - 1984
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- Comment s'est passée la distribution des rôles ?
Guy avait trouvé Pascal Kelaf dans la rue. Le gamin s'est tout de suite rêvé acteur. En guise de bout d'essai Guy l'a fait tourner dans deux courts-métrages télé : L'envers des choses et L'été en tubes - pour l'émission “ Moi Je ”. Il s'en servait comme d'un modèle, au sens bressonien. D'ailleurs il a toujours dirigé ses acteurs comme ça. Il n'y a pas de mouvement de caméra chez Guy, c'est l'acteur qui se soumet au cadre et non l'inverse. La seule résistance de Pascal, c'était dans la dernière scène, pour embrasser Françoise Arnoul. Il n'a jamais voulu, et c'est moi qui ai proposé, du coup, qu'on finisse avec l'inscription sur l'écran : “ Et il goûta à ses lèvres… ” ! Quant à Françoise Arnoul, elle n'avait pas tourné depuis longtemps, elle venait de se séparer d'avec Georges Cravenne, et c'était un peu son retour. Et l'apparition de Nolot, c'était en hommage à La Matiouette , que Téchiné venait de réaliser.
- Quel souvenir gardez-vous du tournage ?
Le tournage a été heureux. Tout s'est bien passé avec l'équipe de FR3 Lille : le cadreur laissait Guy cadrer, et pour la lumière, c'est Guy lui-même qui avait pu choisir Boumendil. N'empêche, pour Guy le film est un peu resté une commande. Pascal Sevran avait fait commander par FR3 une adaptation de son propre roman, il avait choisi Guy, et ils avaient signé ensemble l'adaptation et les dialogues, mais Guy n'y jouait pas sa vie. Il portait déjà Nuit docile en lui et c'était ce qui comptait vraiment.
- Vous avez immédiatement enchaîné sur Nuit docile ?
Après le tournage, j'ai enchaîné avec les repérages de Rendez-vous, de Téchiné, et j'ai travaillé sur le montage d' Enfants stars, court-métrage réalisé par Guy pour Frédéric Mitterrand. Ça n'a jamais été diffusé car ils n'ont pas réussi à avoir tous les droits des extraits de film, mais c'est intéressant parce qu'évidemment c'était surtout sur les enfants acteurs des années 50, du genre Les disparus de St Agil, le cinéma que Guy avait vu et aimé enfant. La plus récente c'était peut-être Brigitte Fossey dans Jeux interdits !
1985, Trois films au Mexique
- Il y a eu une période intermédiaire assez créative, avec écriture de scénarios et réalisation de courts métrages…
A cette époque, grâce à la télé, Guy avait un peu d'argent. On a décidé d'aller tourner au Mexique, sans moyen, en auto-production , avec une caméra louée, un peu de pellicule et un acteur improvisé qui était plus ou moins le petit ami de Guy. Il y avait trois projets. Le premier s'appelait Aller retour, et devait faire partie de Poèmes électriques , mais a trouvé son autonomie sur place. Le deuxième portait sur le quartier de Tepito, le plus chaud de Mexico, et sur les Vierges de Néon qu'on y trouve à chaque carrefour. Le troisième, c'était Les petits boxeurs de Mexico : on est allé trois jours de suite dans une salle de boxe, on s'y est installé. Comme c'était sous une verrière, il y avait une belle lumière : on a tourné caméra sur pied, sans bouger beaucoup. Il y avait un côté “ plans volés ”, mais les gars ne disaient rien, ils étaient plutôt contents d'être filmés. Le texte a été fait après : même si l'aspect sensuel est évidemment à la base du film – et au résultat ! - on y retrouve aussi les thèmes de Guy, les rêves de gloire, l'enfance, les miroirs aux alouettes comme dans La loterie de la vie.
- Comment s'est déroulé le séjour ?
On a séjourné plus d'un mois. On partageait une grande suite, le luxe, mais on s'est vite retrouvé fauché. Il y avait quelques petits éléments de préparés, comme le plan large en plongée dans le Hall de l'Hôtel Capitole, mais pour le reste, on fonctionnait au gré du périple. C'est la première fois que j'allais au Mexique : c'était un peu la panique, dans les quartiers chauds on traçait à 90 km/h avec 70 kg de matériel ! C'était très dur mais passionnant, il y a ces visages, ces objets, ces décors qu'on ne retrouve nulle part ailleurs. On est retourné à l'Hôtel Bamer, l'hôtel de La loterie de la vie, et on a filmé le globe terrestre, l'ascenseur, et les “ Bamerettes (un dance-floor en hauteur). C'était un quartier super chic, qui a été complètement détruit par le tremblement de terre survenu peu après notre voyage… sauf le Bamer, dont il est resté quelques étages !
- La mise en scène semble répondre, chez Guy Gilles, à un désir de saisie improvisée et à la fois à des principes très précis de prise de vues.
Guy n'a jamais monté un plan flou ou bougé, et je ne l'ai vu qu'à de très rares reprises utiliser la caméra épaule. Quant à la focale fixe, c'était une éthique, sans doute héritée de Bresson : même quand il avait un zoom, il restait soit au 50mm, soit au 90mm pour les gros plans, les visages ou les objets, mais il ne voulait pas de distorsion donc pas de focales intermédiaires.
On avait engagé un ingénieur du son sur place, loué une voiture pour aller à Acapulco et à Ziguatanejo, et moi je faisais l'assistant opérateur - ce qui n'était pas de tout repos parce que comme Guy ne travaille justement qu'en plan et focale fixe, il était toujours obligé de se déplacer avec la caméra sur pied pour trouver son cadre. C'était une Coutant, 40 kg, et il fallait se promener avec ça !
- Qu'est-il finalement advenu de ces films ?
Guy a écrit le scénario intégral d' Aller retour après le voyage, donc après le premier – et finalement le seul - tournage. La suite incluait toute une histoire avec Annabella. On a cherché plusieurs producteurs, personne n'en a voulu, malgré la version de 20 minutes qu'on avait pu monter avec les éléments déjà tournés. Quant à Annabella, elle a catégoriquement refusé de tourner à la lecture du scénario ! Il faut dire que pendant le montage, Guy n'était pas toujours présent, il ne voulait travailler que lorsqu'il le sentait, quand il avait des idées. Des fois il fallait tout refaire : avec Claudio Martinez on avait monté Les petits boxeurs de Mexico, c'était très bien, mais Guy a voulu une version plus courte, pas plus de cinq minutes… pour la vendre à Luc Besson ! Son succès le fascinait, il rêvait que Les petits boxeurs passe en avant-programme d'un de ses films… Résultat, on a jamais eu de nouvelles !
Nuit docile
Patrick Jouané, "Nuit docile" - 1987
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- Quelle a été la production de Nuit docile ?
On a proposé le film à tout le monde, y compris à Poiré, qui avait co-produit Absences via Gaumont International : il nous a répondu qu'il ne savait pas produire la beauté ! C'est grâce à l'avance sur recettes que Guy a finalement pu tourner, comme pour tous ses films d'ailleurs. Il avait trouvé Clara Ford pour produire le film : elle l'a fait avec l'avance et un préachat de Canal + , point final. Autant dire rien du tout par rapport à ce que ça coûtait. Elle n'avait pas une très grande expérience de la production et s'est lancée dans l'aventure avec courage mais aussi une certaine inconscience. Elle était fortunée, mariée à un fameux historien du cinéma, Charles Ford ; c'était étrange de voir ce film produit par quelqu'un qui n'était ni de près ni de loin dans l'univers de Guy.
On était tellement fauché qu'on est parti tourner au Maroc sans les autorisations nécessaires, qui coûtaient trop cher. C'étaient des images additionnelles, néanmoins très importantes pour le film. Moralité on s'est fait pincer à la frontière avec tout le matériel, Boumendil (le chef op'), Guy, Pascal (Kelaf) et moi. On a eu droit à un envoyé du Roi, le matériel a été retenu… et débloqué grâce à l'entregent d'Alexandre Arcady, qui tournait alors Un dernier été à Tanger. La solidarité entre pieds noirs !
- Comment s'est passé le tournage à Paris ?
Difficile. Les moyens étaient trop limités : un seul électro pour un tournage exclusivement de nuit ! Guy avait tourné avant, en 16mm, des essais avec les acteurs, des répétitions de gestes, de déplacements, des repérages assez élaborés. Mais Patrick (Jouané) avait trop changé : il s'était fait renverser par un bus un bout de temps auparavant et s'était fait trépaner. Il avait des problèmes de marche, boitait un peu, et Guy ne voulait pas le prendre, pensant plutôt à Penot ou Berry, des gens qui étaient plus connus – du moins à l'époque. Le film avait pourtant été écrit pour Patrick mais il y avait ces considérations financières qui venaient s'ajouter aux difficultés physiques – Guy avait aussi peur de ses problèmes de texte. C'est moi qui ai insisté, c'est un rôle qui revenait évidemment à Patrick. Par contre j'ai déconseillé à Guy de prendre Jean Marais pour le rôle du réalisateur et je m'en veux un peu.
- Que représentait ce film pour lui ?
Nuit Docile, ça a été un aboutissement pour Guy, en particulier sur tout ce qu'il voulait dire sur la création artistique. Après il n'a jamais plus voulu se relancer véritablement dans un film. C'est un projet qui remontait à loin, plusieurs versions s'étaient succédées. Guy faisait tout taper à chaque fois à une dactylo hors pair, Solange Vidaud, qui avait une place très importante, elle collaborait vraiment avec lui, d'autant que c'était un scénario très littéraire.
- Nuit docile est sorti dans une certaine indifférence. Il y a bien eu Cannes, mais les critiques n'ont pas été tendres. Comment Guy Gilles a-t-il vécu cela ?
Le film est passé à Cannes dans le cadre de la Section Perspectives du Cinéma, ce qui déjà est étonnant vus l'âge et la carrière de Guy à ce moment-là. Ce sont plutôt les critiques qu'on pensait bien disposées qui ont flingué le film – la presse spécialisée : Libé, les Cahiers – tandis que la presse grand public (France Soir, Le Figaro) nous a plutôt défendus. Mais on avait guère d'illusions : le film est sorti à Paris dans deux ou trois salles, confidentialité totale… En plus, Guy n'en était pas vraiment satisfait, à cause du manque d'argent on n'avait pas pu tourner toutes les images couleurs voulues – puisque le film reprend le principe d' Absences répétées, action en noir et blanc, visions en couleurs.
Projets et télévision
- Nuit docile signe en quelque sorte la fin de l'œuvre artistique de Guy Gilles. On dirait presque un testament. Que s'est-il passé par la suite ?
Guy a écrit un scénario, L'été recule, tiré de la vie de Carson McCullers. Mais il n'avait plus la force de chercher des financements. Alors il en a fait un roman portant le même titre, en mélangeant les ingrédients du scénario et ceux de Nuit docile – eux-mêmes assez inspirés de sa propre vie. L'infirmière incarnée par Claire Nebout c'est un souvenir de la clinique de Garches où il avait soigné ses dépressions. Et puis le lien est évident dans la scène où l'on voit un extrait de Ciné Bijou.
Parallèlement, on tournait de temps à autre ses Poèmes électriques. C''étaient des jeux avec les lumières nocturnes, les reflets des vitrines, les enseignes de bars. Il tournait ça depuis au moins 1977, en 16mm, quand il pouvait ou quand il avait de l'argent. L'idée du film était assez ouverte, ça reposait uniquement sur les néons de Paris et les gens rencontrés au hasard de la nuit. Parfois Guy faisait venir ses acteurs pour les mettre dans des situations préexistantes : les deux Patrick (Jouané et Penne), Pascal (Kelaf), Claire (Nebout), Brigitte Ariel, Philippe Chemin, Jacques Penot, Paul Blain… C'était très improvisé, mais il connaissait les lieux par cœur – principalement Pigalle. Il faisait ses repérages au cours de ses virées nocturnes. Il reste des rushes magnifiques…
- On est en 1987, 1988 : les problèmes de santé vont bientôt prendre le dessus…
Oui. Guy a eu des problèmes cardiaques très importants et il a dû ralentir son rythme de travail. Les opérations et pontages se sont succédé. J'ai dû aller travailler comme assistant réalisateur pour d'autres que lui. Personne ne voulait l'opérer pour ses problèmes cardiaques à cause de son sida : les gens à l'époque, même les chirurgiens, croyaient n'importe quoi. Il s'est fait promener de clinique en clinique et a finalement trouvé à Neuilly. Après il est parti pour une longue convalescence.
Moi je me suis retrouvé à la Sept, où j'ai fini par faire rentrer Guy comme réalisateur, car il n'avait plus de boulot. Je m'occupais des inter-programmes et j'avais la latitude d'engager qui je voulais pour des petits sujets. Et puis on a fait deux sujets vraiment construits, pensés à sa manière, l'un sur Alexeï Guerman, l'autre sur le cinéaste brésilien Nelson Peirera Dos Santos. Mais la maladie lui dévorait un temps fou, ça explique aussi qu'il n'ait pas eu de nouveaux projets personnels. C'est vers ce moment, vers 90-91, que Benjamin Simon lui a proposé Néfertiti.
Néfertiti
Paul Blain dans "Nefertiti"
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- Quelle est la genèse du film ?
Benjamin Simon venait de produire Joy and Joan, avec Zarah White, et nous a proposé un scénario porno, enfin “ de charme ”… qu'on a transformé en OVNI ! Tout le monde s'est mis sur ce fichu scénario, le producteur, Guy, moi, la directrice de production. C'est pour ça que c'est aussi mauvais. Guy ne comprenait pas pourquoi on lui demandait de faire un film comme ça. Il voulait travailler à tout prix, mais c'était tellement éloigné de son univers. On ne demande pas à Guy Gilles de faire un péplum !
Malgré tout on s'est bien marré, on a voyagé une quinzaine de fois en Egypte. Guy n'était pas toujours facile, il faisait des scènes ou bien se la jouait avec son richissime producteur italien, mais pour moi c'est en lien avec sa maladie. L'AZT augmentait la charge virale, une vraie saloperie. Déjà qu'il avait des problèmes de dépression plus anciens… Il était devenu une usine à prendre des médicaments, entre les nerfs, le cœur et le sida.
- Il voulait d'autant plus cacher sa maladie qu'il était engagé dans une production très importante…
C'était certes des gros moyens, mais on tournait au jour le jour, ça n'avait ni queue ni tête. Enzo Péri, le producteur italien, était un milliardaire qui n'avait jamais rien produit d'intéressant mais avait une grosse fortune immobilière et avait fait des affaires avec Berlusconi. Il nous faisait parfois ré-écrire une scène la veille au soir, uniquement pour faire tourner de jeunes actrices croisées via Venetto un jour plus tôt ! D'ailleurs il avait imposé une miss Toscane pour interpréter Néfertiti.
Après le tournage, ils ont enchaîné avec Joy chez les Pharaons , un porno, dans les mêmes décors à Riga… ils n'auraient pas construit des décors de 2 X 2000 mètres carrés uniquement pour Guy Gilles !
- Le tournage lui-même ne semble pas s'être déroulé comme vous le rêviez !
Moi j'étais enfermé à l'Hôtel de Riga, à ré-écrire le scénario au jour le jour alors que je n'avais jamais fait ça. Et je pouvais seulement retoucher les dialogues, pas les situations - imposées par la production - ce qui n'était pas suffisant pour limiter les dégâts. On s'est retrouvé avec des scènes absurdes où Guy ne savait plus quoi faire.
C'était terrible, l'ambiance était apocalyptique, on n'avait rien à manger, le personnel des hôtels changeait d'un jour à l'autre car c'était juste après la libération de l'URSS. Et puis les lettons détestaient les russes, qui représentaient quand même 40% de notre contingent. Les trois équipes, lettone, russe et italienne, totalisaient (sans compter les figurants) 250 personnes, à la soviétique, une personne par projo ou par feuille photocopiée.
Le reste est de la même eau. Il y a eu des problèmes surréalistes avec le décor : des statues représentant le roi et la reine avaient été faites d'après les acteurs engagés, mais le casting ayant changé entre-temps et les moyens manquant pour en refaire d'autres, elles n'avaient plus aucun sens. On a dû transformer la figuration lettone en Egyptiens, à grands coups de perruques et de cirage : tout a été comme ça, dans une perte de sens généralisée. Il est rare de voir des films aussi incohérents. Et dire qu'au début on avait le chef op' de Tarkovski ! On avait rêvé d'un film à la Russe et on l'a fait à l'italienne…
- Les soucis ne se sont pas arrêtés au tournage…
Le montage s'est effectué à Cinecitta. Guy a monté le film avec Roberto Coco, le directeur de production italien, qui était un ancien sergent-chef de l'armée mussolinienne et avait ensuite travaillé sur les Don Camillo. Il est passé sous sa coupe, d'autant que personne ne parlait français dans la salle de montage, et il n'y comprenait rien. Pour corser le tout, les producteurs français et italien, Simon et Peri, voulaient une version italienne et anglaise, mais pas de version française, or Guy ne parlait pas un mot d'anglais.
Mais le pire, c'est qu'il a dû monter la version française - qu'il rêvait de considérer comme sa version à lui - directement à partir du montage négatif de la version anglaise, sans avoir accès aux rushes, Simon et Peri s'étant fâchés à mort. Le seul pays où le film est sorti c'est l'Espagne, dans une quarantaine de salles. En France il y a eu une sortie administrative, un mercredi après-midi dans un petit cinéma de La Rochelle je crois, pour permettre la diffusion réglementaire sur Canal Plus.
Fin
- Il y a encore eu un film, en vidéo.
La lettre de Jean, c'est un film de prévention sur la drogue, une commande du Ministère de l'Education Nationale, adressée à Guy à cause d' Absences répétées. Il m'a rappelé, il ne voulait pas faire un tournage sans moi. Ça a été son dernier. Après il s'est remis à la peinture, à ses premières amours. Les Beaux-Arts à Alger…
- Comment voyait-il son œuvre rétrospectivement ?
Il n'avait pas d'enfants, mais ses films c'était tout comme. C'était ce qu'il laissait à la postérité. Pour paraphraser Le Clair de terre, il pensait : le temps passe mais les films restent. Il adorait cette expression, qui était la définition qu'il donnait de l'écriture de Proust : “ altérité des êtres et fixité du souvenir ”.
Propos recueillis par Gaël Lépingle en mars 2005.