Guy Gilles   Cinéaste français (1938 - 1996)
Guy Gilles

" Dans tous ses films, qui sont des films d'amour et de tourment, les personnages luttent contre le mal de vivre, la fuite inexorable du temps, veulent faire de l'absolu avec de l'éphémère. Et même s'ils ne racontent pas la vie de Guy Gilles, ils sont autobiographiques; une suite de rencontres, les blessures inguérissables d'une passion récurrente. "

Jacques Siclier

Entretiens

Entretien avec Yvonne Baby

Dans "Au pan coupé", la révolte de Jean est romantique et réaliste

Guy Gilles est né Alger, il y a vingt-sept ans. Après avoir écrit, dessiné, suivi des cours à l'Ecole des beaux-arts, il a commencé à tourner en 16mm et il est venu à Paris en 1960. Soleil éteint a été son premier court-métrage, l'Amour à la mer, commencé en 1963, terminé un an plus tard mais jamais sorti, son premier long métrage, et le second Au pan coupé (1967), qui est présenté cette semaine à Paris.

Pour moi, explique Guy Gilles, le cinéma est un prétexte à montrer et à dire. L'Amour à la mer, je l'ai tourné un peu comme je vivais. Au fur et à mesure que je rencontrais des visages, des lieux des objets, je les incorporais à une trame qui est la ligne générale de mes films.
Par exemple, L'Amour à la mer est l'histoire d'un homme qui, après avoir fait son service militaire en Algérie, rejoint Paris et une fille. Il l'avait connue peu de temps avant, une fois encore il la quitte pour achever son service à Brest ou un garçon lui parle de Paris. Il y retourne mais la ville ne ressemble pas à celle dont lui parlait le garçon. A ce moment-là il s'aperçoit qu'il a découvert le sens de l'amitié et il voit plus clair en lui. Alors il trouve la force de se séparer de cette fille et de partir...
Cette histoire me permettait de filmer le Paris d'un couple, puis Brest, inconnu, puis un autre Paris, nocturne. De filmer, en même temps que les saisons nouvelles, les nouveaux aspects de ces deux villes et les gens qui traversaient la vie et les visions des personnages, aussi bien celles de la fille que celles des garçons. Avec Au pan coupé, j'ai voulu, au contraire, m'attacher aux visages de Jean et de Jeanne en essayant de rester le plus possible d'eux.

La possibilité de changer
- Comment voyez-vous ces personnages ?
- A Jean et à Jeanne sont unis des thèmes qui vont raconter leur histoire. J'ai imaginé Jean un peu en polémique contre ce que doit être normalement le destin de ce genre de personnage; il y a chez lui un refus total de vivre qu'il va sublimer par sa propre mort. En somme, ce refus est si profond que même le désespoir n'est pas assez grand et que, la jeunesse intervenant, il ne se donne pas le temps de comprendre ni de lutter. Quant à Jeanne, dont la vie était neutre, elle sera modifiée par sa rencontre avec Jean. La pureté de ce garçon l'étonne et elle va devenir quelqu'un de différent, elle va éprouver des sentiments forts : la souffrance en face de l'absence ressentie comme un manque, l'impossibilité de l'oubli et celle surtout de retenir celui qui la fuit.

- Le thème de la fuite n'est-il pas très important dans vos deux films?
- Si. La fuite c'est la possibilité de changer, de renaître et, pour moi, l'unique possibilité d'une rupture brutale. Je n'ai pas le courage de me séparer des gens que j'aime, même quand j'ai cessé de les aimer. Aussi la seule issue est de cesser de les voir. Etre incapable de quitter quelqu'un, c'est, pour moi, ne pas vouloir le blesser, lui faire de la peine, et ne pas pouvoir provoquer une douleur ni en supporter l'idée. En fuyant, Jean ne verra pas la douleur de Jeanne et, cédant à une certaine lâcheté, aidé par le départ, l'éloignement, il va s'efforcer de ne pas y penser. Mais fuir Jeanne c'est aussi fuir la vie. C'est pourquoi il dit : " Je préfère renoncer à tout plutôt que d'accepter la société telle quelle est ".

- Sa fuite est donc également une révolte ?
- Une révolte romantique et réaliste. Romantique par l'aspect exemplaire que j'ai donné à la mort de Jean. Réaliste parce que Jean refuse de vivre pour des raisons très simples : il refuse de travailler, il refuse la notion de l'argent, il refuse tout ce qui ressemble à la contrainte, tout ce qui lui paraît s'opposer à une conception de la liberté. Il rêve d'un monde plus joyeux, et tendre. Jean, enfin, a vingt ans et je l'ai composé en m'inspirant de beaucoup de garçons et de filles que j'ai connus et dont les traits mêlés et un peu stylisés m'ont permis de trouver l'essence d'un caractère actuel.

- Cela étant, comment concevez-vous le cinéma ?
- Le cinéma est un art plastique, autonome. L'image doit exprimer les pensées, les sentiments, les sensations... Une bonne image exprime mieux que n'importe quel mot, ou n'importe quelle phrase. Le son intervient en tant que contenu d'image. Proust disait que chacun a un livre écrit en lui et que le créateur est celui qui cherche à lire en lui ce livre et tente de le recopier. En reprenant cette idée, on pourrait présenter le cinéaste comme celui qui a des images en lui (images prises au sens propre), et qui, au moyen d'une caméra, essaie de les rendre existantes. Ces images seront alors véhicules de poésie, ce point de rencontre entre le traduisible et l'intraduisible.

Propos recueillis par Yvonne Baby.
Le Monde (D.R.)