Guy Gilles   Cinéaste français (1938 - 1996)
Guy Gilles

" Dans tous ses films, qui sont des films d'amour et de tourment, les personnages luttent contre le mal de vivre, la fuite inexorable du temps, veulent faire de l'absolu avec de l'éphémère. Et même s'ils ne racontent pas la vie de Guy Gilles, ils sont autobiographiques; une suite de rencontres, les blessures inguérissables d'une passion récurrente. "

Jacques Siclier

Entretiens

Entretien avec Renaud de Dancourt
(retranscription d'un entretien radiophonique)

- Guy Gilles, vous êtes un réalisateur peu connu du grand public et pourtant vous avez réalisé malgré votre jeune âge un certain nombre de films. Les avez-vous fait sciemment intimiste en sachant que ça ne passerait pas le cadre de certains initiés ?
- Non je ne pense pas, je pense que ce sont des films qui auraient pu être vus. Je vois bien les gens dans les festivals, en Italie par exemple, à Pesaro, Bergamo, des gens comme les projectionnistes me disent qu’ils ont aimé… Ce sont les distributeurs qui ont un mépris du public et pensent qu’il n’est pas capable d’aimer. Mais quand le public peut voir les films il les aime.

- Vos films ayant une continuité, les distributeurs attendent que vous sortiez de cette œuvre très personnelle…
- Elle n’aurait plus de sens si j’en sortais. Son intérêt c’est qu’elle soit comme elle est, qu’elle suive un chemin et il est hors de question qu’elle sorte de là.

- Tous vos films sont un reflet de votre vie à vous…
- Il y a des films qui sont extrêmement proches de moi, comme L’amour à la mer, Le Clair de terre, et il y a des films où je fais les portraits d’êtres que j’ai connus et qui se rapprochent de moi tout en n’étant pas moi. Parce qu’évidemment quand on fait des films, on pince à la fois ce qu’on pourrait être, ce qu’on voudrait être. Au pan coupé et Absences répétées sont quand même deux portraits de garçons qui me ressemblent mais je n’agis pas comme eux. J’aime beaucoup la douceur, j’aime la tendresse et la chose que je préfère, à laquelle j’aspire c’est l’harmonie.

- Comment pourriez-vous définir le sujet d’Absences répétées ?
- Absences répétées c’est le refus total. En face d’un monde abîmé, fatigué, c’est le refus de vivre, l’étape au-dessus de la révolte. Au pan coupé c’était la révolte, Absences répétées c’est ce que Marguerite Duras appelle le point zéro. C'est-à-dire le moment où on comprend qu’il faut tout détruire pour recommencer. Et j’ai été très touché, bouleversé, par la vision de garçons et de filles que je connais et dont le refus arrive à la mort.

- N’y a-t-il pas une autre façon de refuser cette société ? Par exemple partir comme votre personnage à un moment ?
- Partir c’est un sursis qu’il peut se donner mais ce n’est pas une vraie solution ; ce n’est jamais une vraie solution.

- Parlons des rapports parents/enfants dans le film…
- Le refus de vivre, le désespoir est plus fort que tout. Mais je voulais, pour faire un portrait assez solidement dessiné, montrer les deux côtés du désespoir… parce qu’il y a le désespoir du garçon qui part à la dérive, qui marche vers la mort, mais aussi le désespoir de gens qui l’aiment et qui ne peuvent plus rien pour lui. C’est ça que j’ai essayé de peindre. Il refuse totalement cette aide, il est trop loin. Et il y a le phénomène de la drogue qui joue. Le cerveau ne fonctionne plus. C’est une pente après, la pente qu’il suit l’entraîne : à la fin du film il croit qu’il va partir, qu’il peut être bien ailleurs et puis sa faiblesse et ses habitudes… pour être mieux dans le train… il se drogue, il se rate et il meurt. La mort l’emporte, c’est la mort qui le prend mais il est certain qu’il s’est donné à elle. Tout le film est cette longue marche vers la mort : c’est un suicide étiré.

- Vous ne pensez pas qu’on va vous accuser d’avoir fait un portrait peut-être trop noir de la jeunesse actuelle?
- Quand on peint un portrait on ne peint pas tous les visages du monde. Ce n’est pas de la jeunesse mais d’une jeunesse actuelle. C’est un cas extrême. Mais les jeunes qui voient mes films sont très concernés, je crois qu’ils se reconnaissent. Mais ça les effraie. Par exemple dans Absences répétées, j’ai demandé à des gens dont je m’étais assez inspiré : ils m’ont dit c’est terrible, mais c’est bien ça.

- Ça peut changer quelque chose ?
- On peut faire des films pour sentir de révélateur à des gens qu vous sont très proches. Danièle Delorme a beaucoup de vitalité, des sursauts, elle avait tendance quelques fois à être un peu sévère, un peu dure et je lui ai expliqué que la mère de François, mon personnage, ne pouvait pas être comme ça. Que si elle avait joué le rôle en femme énergique, qui veut… on ne peut pas. Elle était en face d’un mur. La dernière, la seule chose qu’on puise avoir pour des êtres comme François c’est le plus d’indulgence, le plus de douceur, une énorme volonté dans l’essai de compréhension et être surtout présent jusqu’au bout, près d’eux. Il est ailleurs, il fait des essais, mais ces garçons-là sont très fragiles, contradictoires. « J’ai décroché, je ne me pique plus »… mais ils sont sensibilisés à un point extrême, à la moindre contrariété, au premier choc ils recommencent.

- Est-ce que vous allez suivre cette voie que vous vous êtes tracée dans vos prochains films ?
- On ne décide pas de suivre une voie, ça se fait naturellement. J’ai essayé quelquefois de travailler sur des scénarios qui n’étaient pas de moi mais alors là je ne vois pas du tout le film, je n’ai aucune imagination visuelle, ça ne m’intéresse pas. Alors que si j’entre dans une histoire, ou une vision, parce que souvent ça part d’un lieu, d’une situation, d’un visage aperçu dans un endroit, ça se déclenche, des situations s’ajoutent, viennent s’imbriquer, des décors se mêlent, des obsessions de visages, des désirs de les faire vivre. Par exemple en ce moment j’écris un film pour Jeanne Moreau et Patrick Jouané. Je suis guidé par leur voix, par leur visage, par ce que j’aime en eux et par les situations aussi dans lesquelles je pense qu’ils pourront s’exprimer le mieux et traduire des états extrêmes qu’ils sont capables de rendre. Il y a une phrase de Proust que j’aime bien : il disait qu’un écrivain c’est un homme qui a un livre écrit dans sa tête, mais il devient écrivain le jour où il arrive à le recopier. Moi je pense qu’un cinéaste c’est un type qui a des images dans sa tête, mais des images vraiment construites, très précises et que le jour où il arrive à les traduire sur une pellicule, il est un cinéaste.


Extrait d'une émission radiophonique - 1972
Avec Monique Berger et Danièle Delorme.

MB - C’est un film intelligent et même un peu trop intellectuel, d’une naïveté d’écriture et de pensée quelquefois assez déconcertante mais je dois dire que la sincérité de Guy Gilles est éclatante, et il analyse la démission d’un adolescent devant la vie. Son héros préfère se donner la mort plutôt que de tenter de vivre. Danièle Delorme, que pensez-vous en tant que mère ?
DD - On ne peut pas s’empêcher, en tant que mère… Je ne dois pas moi, avoir d’opinion puisque je joue un rôle donc la vision de Guy Gilles est la bonne et ce qu’il veut raconter… mais en tant que mère moi je me serais plus battue.
MB - Vous êtes pourtant dans le film une mère attentive et soucieuse. Vous, personnellement, vous auriez été plus acharnée ?
DD - Oh mais bien sûr ! je crois que j’aurais gagné, je me serais battue à mort enfin, c’est pas possible d’être là, de le voir comme ça et puis de quitter la chambre pour si je puis dire les besoins du film. Pour moi c’est impossible, d’ailleurs ce sont de grandes discussions que nous avons eues avec Guy mais en fait le film justement raconte cette incommunicabilité, ce drame des gens qui ne peuvent pas… avoir d’influence les uns sur les autres parce qu’ils ne s’entendent pas, ne se comprennent pas. Le film raconte cela donc il fallait bien obtempérer, mais je suppose que les femmes et les mères qui verront ce film auront des réactions vraisemblablement très diverses et très violentes parce que c’est un sujet vraiment brûlant.