Guy Gilles   Cinéaste français (1938 - 1996)
Guy Gilles

" Dans tous ses films, qui sont des films d'amour et de tourment, les personnages luttent contre le mal de vivre, la fuite inexorable du temps, veulent faire de l'absolu avec de l'éphémère. Et même s'ils ne racontent pas la vie de Guy Gilles, ils sont autobiographiques; une suite de rencontres, les blessures inguérissables d'une passion récurrente. "

Jacques Siclier

Entretiens

La merveilleuse aventure d'un jeune metteur en scène de 23 ans. Cinq grandes vedettes acceptent de tourner gracieusement dans son premier film.

Entretien avec Jean-Pierre Sarot

 

BOULEVARD de Clichy, sous les néons multicolores d'un cabaret, d'où s'échappe une musique tzigane, Guy Gilles tourne les dernières séquences de son film : L'Amour à la mer.
- Nuit. Scène 562, 3ème fois, dit le clapman. - Je n'aime pas dormir. Le sommeil, c'est du temps perdu. J'aime la vie la nuit... J'ai tout raté ! Oh! je ne vais pas vous raconter ma vie !
C'est Jean-Claude Brialy qui parle. Il entraîne Daniel Moosman dans les rues de Pigalle tandis qu'un travelling les suit.

Guy Gilles, comment, si jeune, êtes-vous parvenu à réaliser votre premier grand film ?
- Par le chemin du court-métrage. Mes deux premiers ont été réalisés en Algérie, pendant mon service militaire (Soleil éteint et Au Biseau des baisers). Lorsque je suis rentré à Paris, j'ai surtout travaillé comme monteur avec François Reichenbach (A la mémoire du rock, Le Petit Café), et j'ai été assistant de Jacques Demy pour La Luxure avant de faire de nouveaux courts-métrages, Melancholia et récemment Le Journal d'un combat.

Avez-vous l'intention de faire du cinéma à la Reinchenbach ?
- Surtout pas, je n'aime pas le cinéma-vérité, sauf pour les documentaristes qui sont en même temps des poètes comme Chris Marker. Je veux, quant à moi, essayer de raconter une histoire.

Il y a un an, je crois, que vous avez commencé L'Amour à la mer. Pourquoi avez-vous mis si longtemps à le terminer ?
- Parce qu'après la confiance faite à de jeunes metteurs en scène grâce à quelques succès (Les 400 Coups, Les Cousins, Hiroshima mon amour) il y a eu tout d'un coup méfiance des producteurs à cause de quelques échecs : ils ne voulurent plus " s'aventurer " ! Il y a un an, on me proposa de faire un nouveau court-métrage. Dans la tête de tout réalisateur, il y a le désir de diriger un film d'une heure et demie. Depuis deux ans, j'écrivais un scénario. Le moment était venu de le proposer. J'ai donc demandé à mon producteur de me laisser réaliser avec le budget d'un court-métrage quelques minutes de ce sujet. Le résultat enthousiasma un second producteur qui lui accorda les capitaux nécessaires pour poursuivre le film.
C'est l'histoire d'une fille, Geneviève, pleine d'espoirs, d'allégresse et d'un marin, Daniel, un garçon qui se cherche encore ! Il n'a aucun but précis, sinon celui d'être libre. Tous deux se rencontrent. Elle l'aime. Il n'est pas fait pour elle. Leur amour est impossible. Autour d'eux, il y a des personnages qui se croisent et dans lesquels les héros se reconnaissent. C'est Guy, sincère, grave, enfant parfois, qui sera pour Daniel plus qu'un copain de régiment, un ami. C'est Josette, le camarade de bureau de Geneviève, qui ne voit pas la vie en rose, et voudrait vivre autrement.

En fonction de quoi avez-vous choisi vos interprètes ?
- Geneviève Thénier parce qu'elle est jeune et fraîche, qu'elle sait " jouer, sans avoir l'air de jouer ", chanter, danser et que sa beauté est naturelle.. Daniel Moosman parce qu'il a le visage d'une statue grecque. Une émotion naît dès qu'un sourire ou une angoisse l'anime. Il est romantique, dur et tendre à la fois. Josette Krief parce qu'elle est belle et triste, et qu'elle ressemble à Simone Simon.

Et vous-même, vous vous êtes réservé le rôle du copain de Daniel. Pourquoi ?
- Parce qu'au cinéma tout m'intéresse !

Guy Gilles a, lui aussi, un physique qui accroche les lumières. Il pourrait devenir comédien, ce n'est pas son but. Ce qui tient du miracle dans cette aventure, c'est que ce jeune homme de vingt-trois ans ait pu convaincre les vedettes les plus payées de France de tourner dans son film " gracieusement ". Nous les avons interrogées à ce sujet : lorsqu'il est possible d'encourager un jeune talent, toute question financière doit disparaître, nous ont-elles déclaré. Les courts métrages de Guy Gilles Soleil éteint, Le Biseau des baisers, Journal d'un combat et Mélancholia, nous en ont convaincu. C'est tout.
C'est, en effet, très simple et merveilleux.

Les personnages qu'elles incarnent dans le film, pouvez-vous nous les dépeindre en quelques mots?
- Jean-Claude Brialy incarne un homme désenchanté qui, parlant de la jeunesse trop éphémère, et des insatisfactions de la vie nocturne, décidera Daniel à quitter Paris, à quitter Geneviève.

- Alain Delon est le partenaire de Juliette Gréco ?
- Dans une séquence de L'Amour à la mer, Josette et Geneviève vont au cinéma. Elles voient alors un film dont j'ai tourné une scène avec Delon et Juliette Gréco. (Comme dans Le Bel indifférent de Cocteau, une femme encore amoureuse quitte un homme, elle veut qu'il lui parle une dernière fois. Il refuse !) Romy Schneider, elle, joue son propre rôle, une vedette " en chair et en os ", dans le Paris dont rêve Geneviève. Lili Bontemps nous prête un peu de l'histoire de sa vie : une chanteuse qui a connu la gloire. Daniel la rencontre le soir de Noël. Elle devient sa maîtresse. Simone Paris est la logeuse de Geneviève, pour qui elle est une " grande sœur " féminine et douce, aimant la vie et la connaissant. C'est une Geneviève dans 20 ans. Sophie Daumier est une " fille " dans un " bar à matelots " à Brest, où Daniel termine son service militaire. Jean-Pierre Léaud, ce " titi " à qui il manque 55 centimes pour prendre le métro et qui les emprunte à Daniel. Bernard Verley, un garçon qui " traverse " la vie de Geneviève et de Josette !

Quel générique ! Je crois que, comme dans Bonjour tristesse, il y a quelques plans en couleur ?
- Dans le film de Preminger, le noir et le blanc étaient réservés à Paris, la couleur à la Côte d'Azur. Dans L'Amour à la mer, la " démarche " n'est pas la même : l'action est filmée en noir et blanc et sera tirée dans sa copie définitive en " sépia très clair " tandis que pour la pensée intérieure (réflexions) j'ai utilisé la couleur. Elle n'exprime pas le rêve, le fantastique ou le lyrisme, mais elle sert une certaine forme d'écriture cinématographique.

Dans votre film, Guy Gilles, chacun conserve son véritable prénom. Pourquoi ?
- Pourquoi pas? Après L'Amour à la mer, ce que j'aimerais, c'est raconter d'autres histoires qui arriveront à ces mêmes personnages à des époques différentes de leur existence. La vie n'est faite que d'une suite de hasards, de rencontres de gens, qu'on retrouve et qu'on perd. Geneviève, Daniel, feront de nouvelles connaissances. Peut-être deviendront-ils eux-mêmes des personnages secondaires dans mes prochains films. Si dans dix ans, j'en réalise un avec Geneviève Thénier qui aura alors 29 ans, comme flash back de ses 19 ans, je pourrai me servir de certains plans de L'Amour a la mer.

Jean-Claude Brialy a écouté sagement son metteur en scène. Je lui demande : que pensez-vous de Guy Gilles, de la façon dont il dirige ses interprètes ?
- Il a un étonnant sens plastique. J'aime sa poésie, son univers tendre et mélancolique...
Un nouveau metteur en scène qui semble bien parti...

Jean-Pierre Sarot, 1963