Guy Gilles   Cinéaste français (1938 - 1996)
Guy Gilles

" Dans tous ses films, qui sont des films d'amour et de tourment, les personnages luttent contre le mal de vivre, la fuite inexorable du temps, veulent faire de l'absolu avec de l'éphémère. Et même s'ils ne racontent pas la vie de Guy Gilles, ils sont autobiographiques; une suite de rencontres, les blessures inguérissables d'une passion récurrente. "

Jacques Siclier

Hommage : Guy Gilles

Vingt ans de cinéma, des instants d'une incroyable splendeur plastique et visuelle; Jean-Claude Guiguet rend hommage à Guy Gilles, qui fut un auteur et un artisan..

Guy Gilles, Quai Malaquais

Guy Gilles est mort le 3 février dernier. La disparition de l'un des réalisateurs français les plus atypiques fut bien discrète, quand elle ne fut pas d'une condescendance un peu trop voyante pour ne pas être vulgaire. Il est vrai qu'il était presque devenu un de ces incompréhensibles exclus de l'histoire du cinéma même pour ceux qui le connaissaient et voyaient ses films. Le cinéma d'une façon générale préfère ce qui brille à une certaine forme de modestie - sinon d'humilité - dans le comportement. Cette relative indifférence à son égard était d'autant plus injuste que cet homme-là ne s'est jamais renié et fut exemplairement fidèle à sa méthode du début jusqu'au terme de son activité, de L'Amour à la mer, son premier long-métrage qui obtint en 1964 le Prix de la critique au Festival de Locarno, jusqu'à la fin des années 80.

Guy Gilles a tracé un sillon personnel avec la fermeté et l'obstination de ces calligraphes intransigeants dont l'entêtement tient lieu d'exigence et de principe moral. Il naît à Alger le 25 août 1938, fait les Beaux Arts et réalise ses premiers courts-métrages au sortir de l'adolescence : Soleil éteint, (1958), Au biseau des baisers (1959), Melancholia (1961). Tout Guy Cilles est déjà dans le choix de ces titres qui se passent de commentaires. Il saura préserver son inspiration singulière sans jamais trahir sa manière avec Au pan coupé (1967), Le Clair de terre qui obtient le Grand Prix du Festival d'Hyères, Absences répétées, Prix Vigo 1973, Le Jardin qui bascule (1974), Le Crime d'amour (1982), Nuit docile (1987), sans oublier deux excellentes émissions littéraires pour la télévision, Proust, l'art et la douleur et Jean Genet, Saint martyr et poète. Voilà qui n'est pas si mal pour un réalisateur qui n'a jamais séduit ni courtisé les majors et les banquiers. Les dernières années de sa vie ont été particulièrement éprouvantes : il désespérait de tourner un film sur Néfertiti, en coproduction avec l'Italie, la Lettonie et l'Egypte. Le tournage fur maintes fois reporté et sans doute que le résultat n'était pas à la hauteur de ses espoirs puisque le film achevé depuis deux ans est resté inédit en salle à ce jour.

Guy Gilles était-il un grand cinéaste ? Curieusement, la question ne se pose pas à son endroit en ces termes. Il était à coup sûr un auteur, un artisan attentif et patient, capable, par exemple, d'exprimer les impressions les plus subtiles en choisissant des interprètes aux noms prestigieux dont il parvenait à adoucir la brillance pour qu'ils se glissent sans effort dans l'harmonie de ses projets. Il savait comme personne, avec nuance et discrétion, juxtaposer dans un même film, stars de cinéma, comédiens connus et moins connus et visages anonymes. Son art et sa manière permettaient à ce messager du cinéma de poésie d'atteindre une forme d'équilibre parfait, comme il était capable de placer dans le même plan un bouquet de fleurs des champs et une caisse enregistreuse ! On gardera toujours de ces films-là des moments inoubliables, des instants d'une incroyable splendeur plastique et visuelle. Cependant, avant les visages et les corps de tous les jeunes gens qui hantent ses films (Delon, Léaud, Brialy, Jacques Penot, Richard Berry, Patrick Jouané, Philippe Chemin, Patrick Penne, Guy Bedos), avant ces présences féminines à l'éclat mûrissant (Seyrig, Moreau, Girardot, Arnoul, Nathalie Delon, Danielle Delorme, Claire Nebout, Macha Méril, Edwige Feuillère...), le personnage central de tous les films de Guy Gilles, c'est le temps. Voilà son obsession majeure : vivre, vieillir, mourir. Chaque titre explore cet objet unique, tourne autour, s'éloigne un instant pour y revenir jusqu'au terme d'un ultime déchirement. De ce déchirement naît la beauté. Chaque plan du moindre objet, fut-il le plus trivial, sera toujours inscrit dans une lumière esthétiquement élaborée afin d'en exalter la grâce spéciale. (C'est Marc Sator qui éclaira les premiers films avant de passer le relais à un jeune opérateur débutant qui allait devenir célèbre : Philippe Rousselot). Alors, cinéaste ou pas ? Esthète et photographe seraient des termes plus exacts. C'est moins la mise en scène masochiste du passage du temps dont il est question, qu'une mise en place de signes liés à ce passage comme une suite de plans fixes inscrivant toujours la même note étirée et répétée : le présent n'est que 1e regret de ce qui n'est plus. L'avenir n'ayant aucun intérêt, c'est le passé qui sera l'essentielle substance de la matière cinématographique mise en branle. Il y a une croyance dans la capacité résurrectionnelle du cinéma qui court tout au long des films de Guy Gilles en ranimant jusqu'aux fantômes du passé : une collection de cartes postales jaunies fait surgir le désert et les villes blanches d'Afrique du Nord dans la pénombre d'une chambre du Faubourg Saint-Antoine, et dans un petit cinéma du Sud tunisien, le Gabin du Jardinier d'Argenteuil se pare de prestiges cinématographiques insoupçonnés. Il n'est pas interdit aussi de déceler les limites de la méthode : sa répétition tourne assez vite au procédé qui pointe une certaine stérilité dans cette volonté de signifier, volonté qui exclut toute ouverture sur le monde, comme si la fétichisation à outrance du temps ne pouvait conduire qu'à la négation de la vie. Sans doute une rétrospective de tous ces films, pour la plupart déjà lointains dans la mémoire, donnerait en la circonstance l'occasion d'une nouvelle perception de ce cinéma si singulier, qui a su se préserver de toutes les dérives marchandes et qui ne peut - ne serait-ce que pour ce motif-là - passer définitivement à la trappe de l'oubli.

Jean-Claude Guiguet.
Droits réservés - Cahiers du Cinéma numéro 502.